Stress post-traumatique de guerre : un combat vital

*Interview et photos : Virginie de Galzain

« Parler est indispensable. Cela épargne des souffrances insupportables et irréversibles » – Michaël Crépin

En 2009, alors qu’il est en opération extérieure pour 6 mois en Afghanistan, Michaël Crépin, légionnaire français, fait face à la mort – dont la sienne – avec une violence inédite. Pourtant conscient d’avoir « traversé une situation d’une dureté inimaginable », il « verrouille » et commence malgré lui une longue guerre contre lui-même. Le stress post-traumatique (SPT) ? Il ne sait pas ce que c’est. Et quand on pose ces trois lettres sur son état, il n’est guère plus avancé. Pendant plusieurs années, la destruction opère et ronge des vies : la sienne et celle de sa femme, Mercédès, qui lutte elle aussi pour préserver ce qui reste de vivant entre eux. De la honte ressentie à l’impossible aveu dit « de faiblesse » succèdent l’obligation de faire face puis une lueur d’espoir. Dix ans après le jour qui a changé leur vie, Mercédès et Michaël Crépin se livrent dans Un bon petit soldat*, édité chez Flammarion. Entretien à deux voix.

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©Virginie de Galzain

V. de G. : Pouvez-vous vous présenter ?
– Michaël Crépin : Michaël Crépin, blessé de guerre.
– Mercédès Crépin : Mercédès Crépin, épouse d’un ancien légionnaire. Je lutte pour la reconnaissance de la blessure psychique et du stress posttraumatique (SPT). Pour l’amélioration de l’accompagnement et de l’indemnisation des blessés et de leur famille. Je suis aussi en phase de reconstruction personnelle et professionnelle, en tant que femme détruite par ce combat – car ce combat détruit.

• Quel a été le point de départ de ce livre ?
Michaël C. : Je voulais informer le plus grand nombre des dégâts collatéraux terribles de la guerre dont ne parlent pas les militaires blessés. Parce que « c’est comme ça ». Or, si nous (Mercédès et moi) n’en parlons pas, si je n’en parle pas, qui en parlera ? Le stress post-traumatique est une réalité qui touche de nombreux militaires, quel que soit le grade. Une blessure invisible liée à une confrontation violente avec la mort ; une déflagration qui vous brûle à petit feu. Il est temps que les choses bougent.
– Mercédès C. 
:
Ce livre est mon ultime preuve d’amour pour mon mari. Pour mettre des mots sur ses blessures. Pour que cela devienne une force pour lui.

• La reconnaissance des blessures psychiques ressemble à un parcours du combattant. Où en êtes-vous ?
– Mercédès C. : Même si une prise de conscience s’est amorcée depuis l’Afghanistan, encore trop peu de choses ont concrètement et durablement évolué. Cette situation est inacceptable et effroyable car de nombreuses vies sont en jeu : celles des militaires concernés, de leur famille, femme ou mari, enfants. En plus de combattre des démons, d’essayer simplement de survivre, ils doivent se battre administrativement à coups d’expertises : cinq, six… Sans compter les heures de trajet pour raconter à chaque psychiatre les sources du traumatisme, revivre ce qui s’est passé, se justifier.
– Michaël C.
 :
Tout d’abord, je tiens à rappeler que je ne regrette rien de ce que j’ai fait. J’ai trouvé une famille au sein de la Légion, des frères d’armes. Mais je me suis aussi senti abandonné, blessé au-delà de mes blessures traumatiques, humilié. Car la reconnaissance de nos blessures, de nos droits sont des combats immenses et non des acquis. Il peut se passer des années avant d’être reconnu voire indemnisé.
Les dossiers ne sont pas transmis, et chaque nouvelle expertise est comme une remise à zéro. Je vis cela comme un manque de respect et au-delà, d’humanité. Mon dernier dossier en cours ne sera sans doute pas traité avant 2020. En raison de la lourdeur des procédures, nombreux sont ceux qui se découragent et se privent, de fait, d’indemnités légitimes. Les blessés, les familles n’ont pas le temps d’attendre. J’ai la chance d’avoir un foyer stable, une femme à mes côtés, mais tous ne l’ont pas. Comment revivre dans ces conditions ?

• Comment avez-vous survécu, seul et ensemble, à cette épreuve qui ravage tout ?
– Michaël C. : J’ai longtemps été dans la méconnaissance et le déni de ce qui m’arrivait. J’ai tout gardé en moi aussi longtemps que j’ai pu, du moins ce que je pouvais garder. Ce sont des signes extrêmes qui ont fini par m’alerter que trop c’était trop : une importante perte de poids, des ulcères, entre autres…
– Mercédès C.
 :
Avec le recul, je ne sais pas comment j’ai tenu. Je ne voulais rien céder, juste tout faire pour garder notre couple en vie. C’était aussi une façon de préserver mon mari. 

• Les manifestations du SPT sont multiples et graves. Ses conséquences sur le quotidien insurmontables sans aide. Quelle forme cela a-t-il pris dans votre situation ?
– Michaël C. : Je me suis mis à boire, beaucoup, avec tout ce que cela implique sur la santé, le comportement, la perte de contrôle de soi. J’ai rapidement commencé à faire des cauchemars, de ceux qui vous hantent et vous réveillent dans des situations de stress ou de peur intenses. Le moindre bruit brutal ou son ressemblant à un tir (feux d’artifice…) me basculait immédiatement sur un territoire d’opération extérieure, était une correspondance avec les traumatismes vécus et provoquait des réactions complètement disproportionnées. Une déconnexion avec la réalité, avec moi et les autres aussi.
C’est comme si vous viviez avec deux personnalités, parfois consciemment, parfois non. Je me suis aussi mis à fuir tous les lieux où il y avait du monde, ne serait-ce que le supermarché. Je prends l’avion pour éviter les foules sur les quais de gare. Peu à peu on s’isole, au propre et au figuré. Cela devient le seul moyen de se protéger. Du moins le croit-on.
– Mercédès C. : Un jour vous avez une personne à l’écoute, avec une attitude vivable ; et le lendemain vous n’êtes plus rien pour l’autre, sans raison apparente. Tout est fragile, instable, imprévisible.

(À Michaël) Entre le temps où l’on a nommé le mal dont vous souffrez et le moment où vous avez osé en parler à votre femme et accepté de vous faire aider, il s’est passé plus de 5 ans…
– Michaël C. :
En effet, on a mis un sigle sur ce dont je souffrais, mais ce n’est pas vraiment allé au-delà. Je n’en avais jamais entendu parler, ne savais pas ce que c’était et personne ne m’a clairement expliqué que la situation était très grave. Je suis reparti sans pouvoir dire plus que ce que j’avais dit et sans aide.
– Mercédès C. : Les années qui ont suivi son retour d’Afghanistan, Michaël a du reprendre sa vie avec ces trois lettres sans accompagnement, sans conscience réelle des impacts. Quand enfin il m’en a parlé, j’ai découvert l’existence du SPT à mon tour ! Pourquoi en arrive-t-on là ?

mmc_1_©Virginie de Galzain

• Beaucoup ne se résolvent pas à évoquer ce qu’ils perçoivent pourtant comme un point de rupture. Or, plus le temps passe, plus les conséquences s’aggravent et deviennent incontrôlables. Les blessés deviennent des dangers pour eux-mêmes et pour les autres. Comment inciter à parler ? Et pensez-vous (Michaël) que vous auriez parlé plus tôt si vous aviez eu certaines informations ? Une écoute ?
– Michaël C. :
Compte tenu des dégâts immenses que cela cause, directs et indirects, oui j’aurais certainement essayé d’en parler plus tôt. Peut-être pas dans l’instant, mais plus tôt. C’est indispensable. Cela m’aurait épargné des souffrances insupportables et irréversibles à moi ainsi qu’à ma femme, qui a subi de plein fouet tout ce qui se passait en renonçant à tout pour me protéger.
– Mercédès C. : Il faut absolument et largement parler du SPT, informer, sensibiliser et prévenir auprès des premiers concernés : les militaires et leurs proches. Que ce soit pendant la formation initiale et professionnelle, avant le départ en opération extérieure et sur place. Il faut ensuite en finir avec la faiblesse dont ferait preuve un militaire en osant simplement dire sa détresse. Car c’est avant tout une situation de danger. Cela demande un courage immense de « dire ». Si Michaël avait eu un référent à qui parler en Afghanistan, si une personne avait été là pour évoquer avec lui ce qu’il avait vécu, il aurait peut-être pu « déverrouiller », se « décharger » et mieux résister. Après l’embuscade d’Uzbeen*, l’Armée aurait dû immédiatement mettre en place des mesures d’envergure pour ses soldats.
– Mercédès et Michaël C. : Des personnes commencent à se libérer sur des groupes privés via des réseaux sociaux. Le fait de se reconnaître dans la parole des autres et de savoir que l’on n’est pas le seul concerné, de pouvoir parler de façon anonyme, de partager aide à lever des voiles. Mais c’est terrible de voir jour après jour l’ampleur que cela cache. De lire sur ces groupes les témoignages de 10, 15 nouvelles personnes qui appellent à l’aide dans des souffrances inimaginables. Pourquoi ? Parce qu’elles n’ont trouvé ni soutien ni réponse ailleurs.

(À Michaël) Vous faites partie de ceux qui ont bénéficié du sas de décompression à Chypre. Trois jours de « break » pour atténuer une violente transition entre le front et le retour en France. Vous n’avez pas parlé des premiers signes à ce moment-là : pourquoi ?
– Michaël C. : C’est très simple. Nous étions face à des membres de notre régiment. C’était impossible ! Où était la neutralité ? La confidentialité ? L’anonymat ? Je ne voulais pas risquer de perdre ma place au sein de la Légion, être perçu comme un faible justement, puis comme un traître. Car il n’y a pas de demi-mesure dans ces cas-là. À partir du moment où j’en ai parlé, j’ai été isolé. Comme si du jour au lendemain, je n’avais plus existé. Comme si tout ce que j’avais fait n’avait pas de valeur. C’est très violent.
– Mercédès C. : Et ce n’est pas propre à la Légion. Les témoignages que nous avons reçus de membres de l’armée de Terre nous l’ont confirmé. Il n’y a aucun espace prévu en dehors de l’institution militaire pour parler. Pas de sentiment de sécurité, de distance qui pourrait peut-être inciter à se confier alors que c’est essentiel. Le sentiment d’abandon aggrave les blessures. Les blessures physiques ne sont pas discutables. Pourquoi n’en est-il pas de même avec les blessures psychiques ? Lors de journées dédiées aux familles dont des membres on perdu la vie en OPEX, on entend encore : « On ne laisse personne sur le bord de la route ». Malheureusement, entre les effets de communication et la réalité, il y a un monde. Cela reste trop tabou.

(À Michaël) Votre réparation semble indissociable du soutien à vos camarades. Après votre retour d’Afghanistan, vous avez rempli une mission auprès des blessés à l’antenne médicale de Laveran…
– Michaël C. : Aider les autres à s’en sortir participe, non à la guérison – car on ne guérit pas du SPT, mais à vivre mieux avec. À l’hôpital de Laveran, beaucoup de mes frères d’armes étaient blessés ou malades. Je savais ce qu’ils vivaient et les comprenais. J’ai fait tout ce que j’ai pu pour les accompagner sur tous les plans notamment familial, administratif et financier car on peut rapidement se retrouver dans des situations précaires. On se connaissait tous et j’avais le sentiment d’être utile. On me faisait confiance et j’étais en confiance. Après mon départ, tout ce que j’avais mis en place s’est écroulé…
Par la suite, j’ai pensé me foutre en l’air à plusieurs reprises. Je n’ai pas d’autres mots. Au bout de plusieurs années à subir faute de soutien adapté, à être dans l’incapacité de réagir aussi, j’ai eu un déclic. Mercédès m’a fait regarder un documentaire sur les fermes thérapeutiques, très développées aux États-Unis pour répondre aux besoins d’un nombre très important de militaires victimes de SPT.

• En 2018, vous décidez donc de créer en France une ferme thérapeutique à l’attention de militaires atteints de SPT. Pouvez-vous nous en dire plus ?
– Michaël C. :
Je suis en formation depuis septembre 2018 pour obtenir un Brevet professionnel de Responsable d’exploitation agricole. Même si j’ai vécu une enfance remplie de violences familiales dans cet univers très rude, le SPT m’a fait retourner à cette terre qui devient vitale. Enfant, je trouvais mes plaisirs dans la nature. Mon père, mon grand-père… travaillaient à la ferme. Après ce brevet, je souhaite ouvrir une ferme thérapeutique pour des blessés psychiques, les accueillir par petits groupes. Un endroit en paix où ils se sentiront bien, au calme et en sécurité. Un endroit bienveillant où ils pourront se réparer, cultiver la terre, s’occuper d’animaux. Comme un retour aux sources. Je prévois aussi de développer des ateliers de création, puis de mettre en vente ce qui aura été produit. Ce sera un moment de rencontre entre les blessés et les autres, une façon de recréer du lien de façon naturelle et valorisante.
C’est un projet ambitieux qui nécessitera la mise en place d’une permanence sanitaire, avec un.e psychiatre de l’Armée présent.e une à deux fois par semaine. Je pourrai faire le lien entre mes camarades et lui/elle, leur éviter de raconter une énième fois ce qui leur est arrivé et leur épargner de faire des centaines de kilomètres pour voir un psychiatre quelques dizaines de minutes.

• De quoi avez-vous besoin et qui peut vous aider ?
– Michaël C. : Je souhaite commencer à travailler sur ce projet dès l’été prochain. Pour y parvenir, j’ai besoin de toutes les bonnes volontés, dont civiles et militaires bien sûr, et de moyens. Tout d’abord, du foncier à la hauteur des ambitions. L’Armée en a. Des entreprises en ont. C’est un projet solidaire vital, il faut que chacun se mobilise. Nous avons aussi besoin de financements urgents pour développer et pérenniser ce projet. Il suffit d’une personne influente et haut placée pour amorcer une suite de soutiens et d’actions concrètes. Je le répète, c’est une question de volonté. Nous avons aussi besoin de psychiatres militaires volontaires qui se rendraient disponibles pour des permanences.

(À Mercédès) De votre côté, vous avez renoncé à tout pour veiller sur votre mari, lutter contre la désintégration de votre couple. Quel regard portez-vous sur la façon dont vous avez réagi ?
– Mercédès C. : Pour la première fois depuis des années, je découvre Michaël dans une voie de reconstruction et de projet. Je sais également que je ne retrouverai jamais mon mari d’avant. J’ai décidé enfin de lâcher prise, de me reconstruire en tant que femme, professionnelle, amie. Pendant des années, j’ai considéré que ses souffrances, ses blessures étaient aussi les miennes. Peu à peu, je me suis confondue avec elles, me suis désociabilisée. J’ai arrêté un temps de travailler tant je redoutais de ne pas retrouver Michaël en vie le soir. J’ai perdu toute identité, toute féminité aussi. Une négation complète de moi-même. Et personne ne m’a accompagnée. On peut tomber très bas et ne pas se relever. J’ai des ressources en moi qui m’ont permis de résister, d’aller de nouveau vers les autres. J’ai ainsi pu répondre favorablement à une proposition de collaboration comme rédactrice en chef. Mais tout le monde n’a pas ces ressources, et les occasions n’arrivent parfois pas au bon moment. C’est très dur.

Combien de familles se brisent ? Combien d’enfants se retrouvent avec de graves troubles du comportement, font parfois des tentatives de suicide tant ce qu’ils vivent à la maison devient insupportable ? Quand un membre de sa famille est atteint de SPT (mari ou femme, enfant, ami…) ou que l’on remarque des signes très inhabituels, il faut en parler pour se faire aider, puis accompagner l’autre pour qu’il parle à son tour. L’essentiel est de rester soi le plus possible, de garder la force d’analyser la situation et de ne pas rester seul. On se bat comme on peut. Et je ne peux pas vous dire si cela aurait été mieux autrement. C’est ainsi. Mon combat s’arrête là même si je reste disponible pour celles et ceux qui ont besoin de se confier. Aujourd’hui, je dois me réparer moi aussi.

• On a le sentiment que tout est trop long et qu’un changement doit s’opérer en profondeur. Comment percevez-vous le décalage entre l’urgence d’agir et des réponses encore insuffisantes ?
– Michaël C. :
On pense que se taire protège, car cela permet de rester dans l’Armée, de continuer sans être jugé puis rejeté. On a peur des conséquences. Mais c’est une erreur, c’est une fuite. Et à quoi bon si c’est pour que la vie devienne un enfer ? Si l’on se détruit ? On doit avoir des interlocuteurs de confiance et être certain que la confidentialité, le secret médical seront respectés. Nous, blessés psychiques, devons aussi être beaucoup plus nombreux à parler : c’est une clé pour faire prendre conscience de l’urgence d’agir.
– Mercédès C. : En effet, si tous les niveaux de la hiérarchie sont impliqués, si des moyens humains et médicaux sont déployés, on pourra prévenir davantage ces situations et lever peu à peu les tabous. En parler dans les médias est très facile ; faire sauter le verrou de la honte injustement ressenti par un militaire est autre chose ! Il s’agit de vies humaines : celles de femmes et d’hommes qui engagent leur vie, celles des membres de leurs familles. L’effort doit venir de l’Institution. Les valeurs de solidarité et de fraternité doivent être effectives pour tous et tout le temps. Quand la confiance est là, on parle.

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©Virginie de Galzain

Cet ouvrage est à deux voix, chacun avec son ressenti. On rentre dans vos intimités de façon très forte. Comment avez-vous coécrit Un bon petit soldat ?
– Mercédès C. : J’ai commencé en recueillant seule les propos de Michaël, ce qui était très éprouvant pour nous deux. Pour lui de parler, puis de raconter son histoire sans filtre, de revivre comme s’il y était des moments terribles. De mon côté, j’ai reçu ce qu’il disait de façon très frontale et sans distance ce qui a été un vrai choc. À un moment donné, j’ai ressenti le besoin d’être soutenue : Caroline A., de Flammarion (notre éditeur) nous a beaucoup aidés pour parler l’un et l’autre, pour faciliter la rédaction.
– Michaël C. : Comme je vous l’ai dit en commençant, il faut informer sur le SPT car oui, tout reste à faire. Et contrairement à ce que l’on croit, beaucoup ne sont pas informés, ne « savent » pas. Bien sûr, ce livre va bien au-delà, avec l’évocation d’une enfance à la dure et d’un père très violent, les raisons d’être de mon engagement dans la légion, mes satisfactions, un point de rupture avec le sens de mon engagement aussi. Mon combat perdu contre moi-même. Et ma femme, Mercédès, sans qui je ne serais plus là aujourd’hui. C’est aussi pour elle que j’ai fait ce livre. Pour lui dire ce que je ressens pour elle, pour lui dire merci.

• S’il y avait un message à transmettre, quel serait-il ?
– Mercédès C. : Nous espérons que ce livre sera déclencheur de réactions concrètes rapides. Car cela doit se passer maintenant. J’invite aussi toutes les familles concernées à nous suivre, à « monter au créneau ». On ne peut pas porter ni gagner un tel combat à deux. Il y a beaucoup de douleurs accouchées dans ce livre et j’aimerais que l’on n’attende pas qu’il y en ait de nouvelles pour réagir. Aux États-Unis, même si la route est encore longue, des mesures ont enfin été prises pour aider les militaires touchés par le SPT. En France, on a l’impression que tant que l’on n’aura pas eu une succession d’événements très graves, on ne fera pas tout ce qu’il faut.
J’ai beaucoup de respect pour l’Institution, je suis sœur de militaire, femme d’ancien militaire. Mais il est temps de rompre le silence et d’être plus efficace sur la prévention, l’accompagnement, les aides matérielles avec des processus simplifiés et humanisés.
– Michaël C. : Le stress post-traumatique n’est pas une honte. Nous ne sommes ni des lâches, ni des coupables mais des femmes et des hommes blessés. C’est une blessure grave liée à un ou plusieurs chocs traumatiques imprévisibles. Même avec la plus grande force mentale, avec la meilleure des préparations, il y a des situations inhumaines qui dépassent les limites, et qui nous confrontent à nos propres limites. Nous ne sommes pas des robots et heureusement, car les sentiments humains stimulent et préservent en principe du pire. Mais on ne peut pas savoir quelles sont nos limites tant qu’on ne les a pas éprouvées. Cela se vérifie tout au long de la vie. Alors imaginez en situation de guerre… Quand vous devez décider de tirer sur un enfant kamikaze qui a l’âge du vôtre. Quand vous devez ramasser les morceaux de vos frères d’armes déchiquetés par une explosion. Quand une roquette artisanale se fiche dans un mur de sable à quelques mètres de vous…
Informer les soldats est prioritaire car ce sont eux qui sont sur le terrain. Il faut aider les blessés psychiques, amener ceux qui peuvent être concernés à parler, leur permettre de rester dans l’Institution ou d’en partir la tête haute. Le SPT n’a pas de grade, et certains officiers hauts gradés nous ont « quittés » car ils ont été détruits par cette peur de dire. Nous devons tous être considérés à égalité devant le SPT. Enfin, je compte sur tous les soutiens et relais pour mon projet de ferme thérapeutique. Afin de pouvoir le développer dans les meilleurs délais. C’est le premier projet de cette nature pour les blessés psychiques en France. Si l’armée est une famille, n’oublions pas que celle qui nous permet de nous reconstruire aujourd’hui si nous sommes blessés, c’est la nôtre : nos conjoint.es, nos enfants, nos parents. Ce combat est dans l’intérêt de tous.

– Paris, 28 mars 2019

* https://www.defense.gouv.fr/terre/actu-terre/embuscade-d-uzbeen-nous-n-oublions-pas

LE LIVRE : Un bon petit soldat, de Mercédès et Michaël Crépin.
Éd. Flammarion. 18 €.

Écoute Défense : 08 08 800 321, le numéro d’appel anonyme et gratuit d’écoute, d’accompagnement et d’information pour les personnes exposées à des traumatismes ainsi qu’à leur entourage.

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